Arroseurs arrosés

Pourquoi prend-on une photo ?
C'est une question existentielle qui vient juste après la plus commune : pourquoi vivons-nous ? Encore que... vivre n'est pas un choix (au départ tout au moins) alors qu'appuyer sur le bouton qui fait clic en est un !

Eliminons d'abord les photographes professionnels : d'autres raisons leur font capturer des visions et cela mérite le respect car il ne me semble pas évident de réussir une bonne photo lorsqu'on n'a peut-être pas envie de la prendre.
Il faut aussi mettre de coté la photo de circonstance. On a parfois besoin de preuves ou tout au moins de traces. Notre mémoire, en plus d'être sélective, n'est pas fiable et certains de nos souvenirs ont besoin de supports : vagabonder dans une photothèque familiale provoque à coup sûr des poussées de mémoire...

Mais les autres photos ? Qu'est-ce qui provoque l'envie de les prendre, pourquoi le couple œil-cerveau sélectionne-t-il tout d'un coup une vision parmi toutes celles qui défilent à grande vitesse et en permanence à portée de notre regard ?

Je l'ai déjà évoqué dans le texte du portfolio "Vues de l'esprit" et j'ai déjà peu ou prou répondu dans le texte du portfolio "Point de vue".
Notre œil est objectif à tous les sens du mot. Notre cerveau ne l'est pas. D'abord parce que ce n'est pas qu'un microprocesseur... c'est aussi un disque dur ! Ensuite, il y a les périphériques : impressions, sensations ou émotions qui elles aussi se succédent en permanence.
Prendre une photo, c'est obéir à l'irrésistible envie de figer (tout au moins, d'essayer !) la totalité de notre ordinateur cérébral et de ses périphériques à un instant donné. Nous savons tous que la réussite n'est pas toujours au rendez-vous... sans doute parce que ce n'est pas possible. Il manque toujours à ma photo l'atmosphère dans laquelle je baignais, les odeurs qui passaient, les bruits ou le silence qui m'entouraient, l'état d'esprit et les émotions qui étaient les miens au moment de déclencher. Bref : les mêmes raisons qui font que l'on ne retrouve jamais le goût des plats préparés dans notre enfance par nos grand-mères !

Quant à "l'autre"* qui regarde ma photo... j'en parle dans la page d'accueil de ce site : comment lui demander de reconstituer mes conditions mentales et physiques de la prise de vue ? Ce n'est pas ce qui se passe. Son trio œil-cerveau-périphériques est sollicité et génère... une autre photo !!! Qui lui plaît ou ne lui plaît pas, et ce n'est pas discutable. Tant mieux ou tant pis pour mon ego... La dite photo continuera de me plaire le plus souvent !

Une anecdote "édifiante" pour finir : lors de mon premier passage à New-York, j'ai pris exactement la même photo deux soirs de suite sans m'en rendre compte ! Mêmes sensations deux soirs de suite ou bug cérébral ?

* Réminiscence d'adolescence Sartrienne...


15/11/2012